dimanche 26 août 2012

La fascinante histoire des Jodhpur, Chukka et Chelsea

D'où viennent les bottines que nous portons aujourd'hui? Qu'elles soient fermées par des lacets, des bandes élastiques ou des lanières, ces chaussures qui montent jusqu'aux chevilles sont le fruit de la conjonction historique entre colonisateurs anglais, équitation, et sous-continent indien. Un mélange qui allait révolutionner le monde de la chaussure pour homme qui, à l'époque, ne comprenait que des bottes montantes, la chaussure basse n'ayant pas encore été inventée.

Les cavaliers européens, surtout les militaires, ont toujours porté des bottes en cuir montant jusqu'au genou, et parfois au-delà, afin de protéger la cheville et l'intérieur du mollet du frottement contre les éléments de la selle et, au combat, le bas de la jambe, et parfois le genou, des coups d'épée ennemis. Si ce type de botte est bien utile à cheval, elle devient vite pénible lorsqu'on est à terre, car du fait de la raideur de la partie montante elle est très inconfortable pour marcher.

Conçues pour protéger la jambe des coups d'épée ennemis, on devine bien que les bottes de la cavalerie anglaise étaient peu adaptées au climat indien. Celles-ci sont encore en service avec la Household Cavalry, la garde royale à cheval.






Lorsque les anglais se sont installés en Inde, pays où les températures et l'humidité atteignent des niveaux jamais vus en Europe, il apparut vite aux officiers de cavalerie qu'à côté de leurs lourdes bottes d'ordonnance il leur fallait une autre type de chaussure, qui protégerait le pied et la cheville sans enfermer tout le bas de la jambe dans un mini-sauna portatif.

Il leur fallait aussi, pour marcher dans les paddocks et dans leur quartier, en dehors des heures de service, une chaussure pratique et confortable, mais avec laquelle ils pourraient monter à cheval pendant un court moment si le besoin s'en faisait sentir. Il fallait donc une chaussure montant au-dessus de la cheville, au bout arrondi pour ne pas rester coincée dans l'étrier en cas de chute, et avec un talon bien marqué afin que le pied ne glisse pas à travers l'étrier.

En Inde, les anglais découvrirent avec ravissement les tenues d'équitation en vogue dans l'état du Jodhpur, qui est en quelque sorte l'épicentre de l'équitation indienne. Les cavaliers hors pair de cette région avaient adopté une tenue particulièrement confortable et bien adaptée à leur environnement, consistant en une culotte à l'assise très large, presque bouffante autour du bassin, et qui se resserrait autour du genou et du mollet, qui étaient renforcés, et qui se portait avec des bottines s'arrêtant juste au-dessus de la cheville.

La bottine jodhpur à lanière
Ce modèle de culotte, qui contrairement au pantalon occidental n'entravait pas la liberté de mouvement du cavalier, fut vite adoptée par les civils anglais, tout comme les bottes basses qui étaient incomparablement plus confortables que les tenues militaires.

Il  y avait un autre avantage, esthétique celui-là, et auquel aucun officier de cavalerie ne pouvait donc rester insensible: la culotte jodhpur affinait la jambe, et la bottine éponyme, portée avec un pantalon d'uniforme étroit, affinait aussi la silhouette.

Ces bottines basses, ou "ankle boots," pouvaient avoir plusieurs types de fermeture: les cavaliers indiens du Jodhpur avaient un faible pour une lanière faisant le tour de la cheville et fermant par une boucle, et ce type de botte fut donc appelée jodhpur, tout comme la culotte bouffante, d'ailleurs.

Les bottines basses ont également un autre atout non négligeable pour les cavaliers: en y ajoutant des "half-chaps", sorte de jambière semi-rigide montant jusqu'au genou, elles peuvent parfaitement remplacer, à l'occasion, les véritables bottes cavalières, avec tout ce que cela comporte d'avantages en matière de confort, d'aspect pratique et de coût.

Une version plus civilisée de cette bottine, fermée par des lacets et ressemblant plus à une chaussure montante qu'à une botte, était souvent utilisée par les joueurs de polo anglais avant qu'ils ne chaussent des bottes hautes pour entrer sur le terrain de jeu. Cette version fut appelée "chukka" (ou "chukker"), du nom des six périodes de jeu (de 7.5 minutes chacune) d'une partie de polo traditionnelle.

La bottine "chukka" est à lacets
L'histoire veut que les jodhpurs -- bottines et culottes confondues -- aient été introduites en Angleterre en 1897 par Sir Pratap Singh, l'un des fils du Maharaja de Jodhpur, lorsqu'il vint assister au jubilé de la Reine Victoria, Impératrice des Indes. Il avait amené avec lui son équipe de polo personnelle, dont les culottes et les bottines ravirent les cavaliers et autres "fashion victims" londoniens, qui eurent vite fait de les adopter. Et leur diffusion à grande échelle fut facilitée par l'arrivée en Angleterre, quelques années auparavant, des toutes nouvelles machines à coudre Goodyear, qui permirent aux manufactures anglaises d'augmenter fortement leurs cadences, et donc d'élargir la diffusion des chaussures de qualité en permettant notamment d'en baisser le prix.

La bottine élastique Chelsea
Le troisième modèle de bottine anglaise, la Chelsea, qui se reconnaît immédiatement à ses côtés élastiques permettant de les mettre et enlever très facilement, est en fait la plus ancienne des trois.

L'histoire veut que Joseph Sparkes-Hall, le bottier de l'alors Princesse Alexandrina Victoria de Hanovre, profita de l'invention du caoutchouc vulcanisé par Charles Goodyear (le père de celui qui inventa la machine à coudre éponyme -- quelle famille!) pour inventer la bottine aux côtés élastiques (elastic gusset boot). Il offrit l'un des prototypes à la princesse en 1837, à l'occasion de son accession au trône britannique sous le nom de Victoria.

Ces bottines étaient en effet initialement destinées aux femmes, qui en appréciaient la commodité, et dès le milieu du 19ème siècle elles s'étaient largement répandues à travers tout le pays et dans toutes les classe sociales. Mais les hommes, et surtout les cavaliers, ne tardèrent pas à se les approprier, également en raison de la facilité avec laquelle on pouvait les chausser et déchausser.

Sparkes-Hall breveta son invention le 14 mai 1840. Pour l'anecdote, le nom de ce modèle vient de ce que les jeunes anglais "trendy" des années 1960, qui hantaient le quartier de Chelsea, à Londres, en firent leur chaussure emblématique.

Jodhpur, Chukka, et Chelsea: l'industrie anglaise de la chaussure, tout comme l'équitation d'ailleurs, doit une fière chandelle au sous-continent indien, où elle a puisé quelques unes de ses plus belles réussites.

Une fois n'est pas coutume, vous ne trouverez pas ces trois modèles chaussures dans notre boutique en ligne, Britannic Shoes, (désormais fermée) car nous sommes toujours à la recherche d'un beau jodhpur, modèle qui a tendance à se raréfier dans la production actuelle. Par contre, nous proposons une très belle gamme de chukka boots et de chelsea boots qui, même si vous ne montez pas à cheval, donneront du "chic cavalier" à vos tenues de week-end.


Mise à jour du 29 novembre 2014:
La radio Le Mouv' a repris l'histoire des bottines Chelsea contée ci-dessus dans une courte rubrique d'une émission du 26 novembre (et que l'on peut réécouter en 'podcast'), sans toutefois mentionner de source.

3 commentaires:

  1. Quel dommage ! j'ai pratiqué l'équitation pendant des années en sport-études (années 80)avec des jodhpurs anglaise (made in GB) et effectivement de nos jours il est impossible dans retrouver de nouvelles. continuez vos recherche, je fais de même.

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  2. Dr. Martens propose quelques modèles de jodhpurs. Je viens d'ailleurs d'en acheter une paire que j'adore !

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  3. Désolé pour ce retard à répondre, mais je n'ai plus le temps de m'occuper de ce blog comme je le voudrais
    Par curiosité, que pensez-vous des judhpurs que vous avez achetés?

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