samedi 29 septembre 2012

Piqûre de rappel n° 1:
Blake, Goodyear, norvégien, veldtschoen, goiser....

Les techniques de construction des chaussures sont nombreuses et variées, et comme toutes les techniques artisanales elles ont évolué en fonction des matériaux disponibles et des besoins des clients. Plus on remonte vers le nord, et plus l'on grimpe en altitude, plus les chaussures deviennent lourdes, et plus elles sont construites selon des méthodes plus complexes.

Construction veldtschoen d'une botte Kelso
Ce qui convient pour un mocassin que l'on porte l'été à Rome ne convient pas pour la chaussure d'hiver d'un montagnard autrichien ou d'un pêcheur norvégien. Le premier sera principalement collé, avec peut-être une unique couture de renfort, alors que notre montagnard aura besoin de chaussures qui lui tiennent les pieds au chaud et au sec tout en les protégeant.


Ce post est un bref rappel des principales techniques de construction des chaussures pour homme, partant du plus simple au plus complexe. Nous sommes très reconnaissants au blog américain Denim Life, au bottier italien Scarpe di Bianco et à la boutique vintage en ligne Classic Shoes For Men pour les excellents dessins et illustrations que nous leur avons empruntés pour illustrer ce billet.

La construction la plus simple est le collé, aussi appelée "soudé", dans laquelle semelle, doublure et tige sont assemblées avec des adhésifs idoines, sans aucune couture. Cette technique convient aux chaussures les plus légères, et ne doit pas être dédaignée a priori car d'une part la qualité des colles s'est beaucoup améliorée, et d'autre part certains mocassins très fins ne pourraient être construits autrement.


La deuxième technique est le cousu Blake, dans laquelle une unique couture relie ensemble la semelle extérieure, la première de propreté (en fait, la semelle intérieure) et la tige. L'inconvénient de cette technique est que les coutures dépassent à l'intérieur, et qu'elles frottent sur la plante des pieds.

Blake Rapid
Le Blake en question était Lyman Reed Blake, l'inventeur américain de la première machine qui permettait de coudre ces trois parties en une seule opération, et qui permit donc de raccourcir très sensiblement le temps de fabrication des chaussures. Il en existe une variante, dite Blake/Rapid, utilisée lorsqu'on veut ajouter une semelle extérieure plus lourde, et qui utilise une deuxième couture verticale ou oblique, dite Rapid, pour l'attacher. Certains considèrent que cette technique offre le meilleur rapport entre légerté et robustesse, et il est vrai que, du fait de ses deux semelles, elle offre une certaine imperméabilité.

Pour les chaussures plus lourdes, la construction qui s'est imposée depuis des siècles est le cousu trépointe, appelé ainsi car elle ajoute une trépointe, c'est à dire une bandelette de cuir à laquelle sont attachées semelle, doublure et tige. La trépointe est  d'abord cousue à la la tige par une première couture oblique, puis à la semelle par une couture verticale, qui reste visible près du bord de la semelle.

cousu Goodyear
Cette construction cousu trépointe était initialement utilisée par les bottiers, qui cousent leurs chaussures à la main. Elle a été mécanisée depuis près d'un siècle et demi grâce à l'invention de la machine à coudre Goodyear, et est communément appelée le "cousu Goodyear." C'est cette machine qui permit d'adapter la trépointe à la production en série, mettant ainsi la chaussure de qualité à la portée de tous ceux qui ne pouvaient se chausser chez un bottier.

Le cousu Goodyear a cependant un petit défaut: lorsque la trépointe est cousue, elle laisse un très petit passage par lequel l'eau peut, à la longue, pénétrer à l'intérieur. On peut y remédier en graissant l'interstice, mais on peut aussi adopter deux autres méthodes de construction qui rendent la chaussure pratiquement imperméable: le veldtschoen ou le cousu norvégien.

Le nom veldtschoen, qui signifie littéralement "chaussure de campagne", nous vient du néerlandais que parlaient les Boers, fermiers originaires des Pays Bas qui s'installèrent en Afrique du sud, et à qui l'on attribue cette technique.

Dans sa forme basique, le cousu veldtschoen est très simple: le bord de la tige est tourné vers l'éxtérieur lorsqu'il atteint la semelle, et est cousu à celle-ci. Ce plis ferme le passage entre tige et semelle, l'eau ne peut plus y passer, et le pied reste au sec. Objectif atteint.

Construction veldtschoen
Il existe plusieurs variantes du cousu veldtschoen, car il ne faut pas oublier qu'à l'époque il existait un très grand nombre de manufactures qui se concurrençaient sur leurs savoirs-faire techniques et sur la qualité de leurs produits plus que sur les prix. La course constante au "bon marché" et à la rentabilité, plaie de nos sociétés contemporaines, n'avait pas cours au 19ème siècle.

Mais revenons à nos moutons. La variante la plus connue du veldtschoen, et à laquelle on pense aujourd'hui lorsqu'on utilise le terme, ajoute une trépointe à la précédente, ce qui renforce sensiblement l'ensemble, tandis qu'une troisième variante (stitch-down veldtschoen) ajoute une deuxième couture Rapid, parallèle à la précédente, pour un total de trois.

Il y a aussi une quatrième variante, mise au point par Lotus, l'un des principaux producteurs anglais du début du 20ème siècle, et qui était basée à Stafford - pour une fois, pas dans le Northamptonshire, mais dans les Midlands, le coeur industriel de l'Angleterre. Cette méthode est rapportée par le blog Loomstate, auquel nous avons emprunté ces deux schémas de l'époque.

Lotus, donc, qui employait encore plus de 2,000 personnes en 1950, commercialisa en 1915 une botte d'officier absolument étanche (pour résister à l'eau des tranchées) et qui faisait appel à une technique (welted veldtschoen, ci-contre à droite) qui utilisait une double tige, c'est à dire deux couches de cuir superposées.

On avait donc deux couches de cuir superposées, dont l'une terminait pliée vers l'extérieur, et séparées par un renfort antérieur cousu à elles; deux semelles extérieures, et deux coutures: pas étonnant, dans ces conditions, que cette botte était garantie totalement imperméable! A tel point, d'ailleurs, que pendant des années le célèbre marchand de vêtements londonien Cordings garda dans sa vitrine une botte Lotus baignant dans un seau d'eau, afin de démontrer qu'elle était vraiment étanche.

Après la guerre, la botte d'officier Lotus fut vendue sur marché civil, et devint la botte de chasse Durham, réalisée essentiellement en cuir grainé "zug", et qui remporta un très grand succès auprès non seulement des chasseurs mais aussi des randonneurs, des agriculteurs, des golfeurs etc etc. La même variante de la construction veldtschoen fut ensuite utilisée pour une large gamme de chaussures basses qui assura la prospérité de la marque jusqu'aux années 1970, date où commença son irrémédiable déclin.

Ainsi, ces quatre variantes de la construction veldtschoen assurent, à des degrés divers et avec des solutions plus ou moins complexes, l'étanchéité de la chaussure et, in fine, le confort de leur propriétaire quelle que soient les conditions atmosphériques. Et c'est bien ce qu'on demande à de bonnes chaussures, et que l'on leur demandait avec encore plus d'insistance il y a un siècle et demi, avant que l'on n'invente la vulcanisation, et le caoutchouc qui en est issu.


(à suivre...)

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Merci pour cet article bien illustré. Je vous cite sur
    http://saintyrieixlaperche.wordpress.com/

    RépondreSupprimer